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Article

Sur la repr�sentation des processus d?auto in-formation des organisations sociales. 2�me partie

Article invit�


Jean-Louis Le Moigne, Professeur �m�rite, Universit� d?Aix Marseille et R�seau Intelligence de la Complexit�, lemoigne@univ-aix.fr.

Date de publication : 20 novembre 2009


Table des mati�res

Texte int�gral

Le paradigme �nerg�tique a longtemps eu l'avantage de sa disponibilit� : au fur et � mesure qu'�mergeait le ph�nom�ne-entreprise, sous la forme organisationnelle o� nous le connaissons aujourd'hui, celle des Arsenaux du Roy d�s le XVII�me si�cle. Par exemple, il �tait l�, disponible, justifi� tant par des consid�rations �pist�mologiques que par des consid�rations pragmatiques : l'Entreprise s'organisait pr�cis�ment pour g�rer - et peut-�tre pour optimiser - la production, la transformation et la r�gulation d'une ressource rare, l'Energie. Ce concept ambigu et multiforme, avait, et a toujours, l'avantage de f�d�rer de fa�on intelligible et uniforme tous les types de ressources que les entreprises sont susceptibles de valoriser et par rapport auxquelles elles s'identifient.

Cette vocation essentiellement �nerg�tique (au sens large) de l'Entreprise commence � s'av�rer par trop r�ductrice de sa complexit� telle que la per�oivent ses acteurs (Le Moigne, 1986b). On comprend que les limitations de ce paradigme deviennent malais�ment supportables. On a pu croire que le paradigme Cybern�tique, diff�renciant au sein du paradigme Energ�tique les processus informationnels de r�gulation des processus proprement �nerg�tiques de production-transformation, permettrait de reculer suffisamment ces limites du mod�lisable. On a montr� la fragilit� �pist�mologique de cette extension, diagnostic que nombre de consid�rations empiriques confirment depuis que les entreprises informatisent leurs activit�s et leurs organisations (Le Moigne, 1987). C'est pr�cis�ment cette discussion qui a conduit � d�velopper et � expliciter le paradigme Inforg�tique � fin de mod�lisation (donc dans l'univers ?) des ph�nom�nes per�us � la fois identifiables et complexes : Paradigme construit sur l'intelligence de la correspondance �Information Organisation�.

On doit donc pouvoir proposer une nouvelle probl�matique de mod�lisation des entreprises (et plus g�n�ralement des organisations sociales entendues comme des construits sociaux organis�s et organisants), une �mod�lisation Inforg�tique��. C'est � cet exercice que l'on se propose de s'attacher�de fa�on sommaire dans la derni�re partie de cette �tude, sous la forme de 10 propositions dont la conjonction conduit � une probl�matique de la repr�sentation des organisations sociales que l'on tient pour argument�e �pist�mologiquement et pertinente en terme d'informatisation.

L'Entreprise-Organisation se per�oit comme et par un complexe d'actions organis�es et organisantes, actions visant � la fois � produire, maintenir et relier et � se produire, se maintenir et se relier.

Cette repr�sentation id�altype de l'auto-repr�sentation de l'entreprise par elle-m�me implique une conceptualisation forte de la notion d'organisation que l'on tient ici pour acquise1. Elle conduit � d�laisser le sch�ma habituel de la �mod�lisation ensembliste-identitaire� (Castoriadis, 1975) : elle n'est pas per�ue comme un Objet mais comme une Action, un �complexe d'actions� (ou un �tissus d?interactions�). Elle n'est donc pas analysable (d�composable) en un ensemble d'�l�ments-objets-stables empiriquement identifiables. Elle conduit � �tablir une carte stable (des r�seaux ouverts de processeurs activables) d'un territoire que l'on pr�sume en �quilibrations synchroniques et diachroniques permanentes.

L'hypoth�se sous jacente du paradigme Inforg�tique consiste � tenir une telle repr�sentation fonctionnelle comme pertinente pour le support de raisonnements-simulations � fin d'interventions.

L'Entreprise-Organisation s'identifie par son processus endo-exog�ne d'autonomisation t�l�ologique.

Autrement dit, par sa capacit� � �laborer de fa�on endog�ne les projets en r�f�rence auxquels elle d�terminera ses comportements (d�cisions), comportements qui la diff�rencient du substrat exog�ne dont elle se per�oit solidaire. Cette repr�sentation express�ment t�l�ologique de l'Entreprise ?Organisation conduit � r�cuser les r�ductions habituelles au mod�le m�canique (d�terministe ou stochastique) d'une machinerie s�quentielle ou cybern�tique de causes et d'effets (lin�aires ou circulaires) calculables. En agissant, l'Entreprise est per�ue (ou se per�oit) comme r�-engendrant en permanence ses propres finalit�s, par lesquelles elle s'autonomise en �laborant elle-m�me (d�cisions) ses comportements propres.

L'Entreprise s'entend par rapport � ses projets et � sa capacit� t�l�ologique de r��laboration permanente de projets et non par rapport � une structure quasi m�canique de relations causes-effets telle que la conceptualisait le paradigme �nerg�tique.

L?entreprise-organisation se d�crit elle-m�me, en termes auto-�co-r�ferentiels : elle se repr�sente par conjonction permanente de mod�les distinguables mais ins�parables.

Les mod�les qu'un tiers pourrait �tablir d'une entreprise donn�e (par exemple les mod�les qu'une entreprise se donne de ses concurrents, de ses fournisseurs ou de ses clients) sont n�cessairement des mod�les de substitution : ceux que l'on �tablit en se mettant � la place de l'autre : il n'existe donc pas un mod�le Id�altype d'une entreprise donn�e, mais un m�ta-mod�le qui rappelle ce processus d'auto-�co-mod�lisation. Le mod�le auto-�co r�f�rentiel que l'entreprise se construit d'elle-m�me pour elle-m�me est conjonction de deux classes de mod�les, distinguables parce qu'in�galement formalisables (dans l'�tat actuel des connaissances), distinguables mais n�cessairement ins�parables, que �le comportement soit le moteur de l'�volution��, dixit J. Piaget (1976), ou r�ciproquement, dixit les th�ories du d�terminisme g�n�tique, que �l?�volution soit le moteur du comportement���:

  • les mod�les synchroniques-op�rationnels (ou encore les mod�les du fonctionnement organis�)

  • les mod�les diachroniques-strat�giques (ou encore les mod�les de la finalisation organisante) aujourd'hui souvent pr�sent�s sous le label du mod�le du �projet d'organisation��.

L'entreprise-organisation se per�oit en permanente �quilibration - ou adaptation t�l�ologique - au sein de ses environnements (substrats, contextes, milieux, champs, processus, ...). Cette �quilibration se d�veloppe par un double processus endog�ne d'accommodation (ou de canalisation communicationnelle) et d'assimilation (ou de codage informationnel).

Le c�l�bre concept Piag�tien (1975) �d'Equilibration des structures cognitives� �propose un sch�ma suffisamment g�n�ral pour exprimer sans la mutiler la probl�matique centrale de toute organisation, qu'elle soit vivante, sociale, naturelle, artificielle : �Elle passe son temps � s'�quilibrer� et ce, par exemple, en �r�vant de se reproduire� (F. Jacob) ou � �jouir de son m�tabolisme� (E. Morin).

Le tour un peu trop l�ger de la formule vise seulement � �veiller l'attention : derri�re l'abstraction des concepts, on retrouve express�ment le concept de l'invariance de ce processus d'�quilibration t�l�ologique propre � toute organisation : il est dual, concernant � la fois le contenu et le contenant, l'instrument et le r�sultat produit. N. Wiener le d�crit par le jeu �de la communication et de la conduite��, C. Shannon par celui �du canal et du code��, les biologistes par celui de �l'engramme et du programme��, les informaticiens par celui de �la structure des donn�es et du programme de traitement��, les psychologues de la cognition, enfin, dans la formulation de J. Piaget, par le jeu de l'accommodation (ou de la r�gulation endog�ne suscit�e par la forme-organis�e de l'organisation) et de l'assimilation (ou de la production-transformation-traitement des codes exprimant les informations par lesquels l'organisation engramme ou se repr�sente ses activit�s t�l�ologiques). Per�ue en �quilibration permanente, l'entreprise se repr�sente donc par le jeu de ses propres processus de communication (le choix des �canaux��) et de ses processus de production d'information codables et d�codables (le choix des �codes internes�).

L'Entreprise organisation se per�oit comme et par un syst�me de g�n�ration d'informations propres (ou g�n�riques). Ces informations sont toujours produites sous la forme de syst�mes de symboles physiques, c'est � dire de signes qui, repr�sent�s par des formes physiques (des signaux) dans l?univers?, sont interpr�t�s dans l'univers ? comme �tant � la fois signe (op�rateur et op�rande), signifi� et signifiant.

Les mod�les �nerg�tiques de l'organisation en g�n�ral achoppent tous sur le probl�me de l'identification du concept d'information : on ne peut s'en passer et on ne parvient pas � le d�finir de fa�on satisfaisante. La c�l�bre tentative de L. Brillouin (1962) proposant de faire de l'unit� d'information (Neg-entropie) le quantum �l�mentaire absolu constitutif de l'�nergie n'a pas abouti.

Et il a fallu attendre la diff�renciation �pist�mologique de l'Univers ? (dans lequel l'information, forme physique �diff�rente� tangible, est reconnaissable) et de l'Univers ? (dans lequel cette forme �diff�rente� peut s'entendre op�ratrice, productrice d'elle-m�me et engendrant des �images mentales� diff�rentes) pour que le concept d'information soit appr�hendable de fa�on satisfaisante : l'information, cette action qui met en correspondance les �v�nements per�us du �Territoire� (l'Univers ? ) et les �v�nements con�us sur �la carte� (l'univers ?).

H.A. Simon et A. Newell (1975) ont formul� cette conceptualisation sous le nom de "l'Hypoth�se du Syst�me de Symbole Physique", de fa�on � d�gager l'invariant conceptuel de cette d�finition parall�le dans les deux univers du discours : le Symbole ; une information �tant, par d�finition, un syst�me (ou une liste) de symboles. En pr�cisant �symbole physique��, ils soulignent le fait que le concept est aussi d�fini dans l'Univers ? des ph�nom�nes tangibles (celui de ��la diff�rence per�ue sur le territoire�) et dans l'univers ? des repr�sentations o� le symbole se complexifie doublement (la diff�rence dans ��l?image mentale� pouvant susciter une diff�rence dans le comportement).

��L?information est une diff�rence qui engendre une diff�rence� r�sumait G. Bateson en 1970.

Autrement dit, le symbole (syst�me de symboles) s'entend � la fois op�rateur pragmatique (ce qui engendre ou ce qui forme) et op�rande s�mantique (ce qui est signifi� ou d�sign�). On n'a sans doute pas encore �puis� la complexit� famili�re de ce signe-signifi�-signifiant qu'avaient d�j� reconnu Ch. Morris ou W. Weaver percevant que la th�orie de la communication �tait aussi une th�orie de l'information et donc aussi une th�orie du signe (S�miologie) : Intelligible conjointement en trois niveaux non-disjoignables, l?information conjoint les trois fonctions distinguables de la Syntaxique (d�signation), de la S�mantique (interpr�tation), et de la Pragmatique (communic-action). C'est ce concept complexe qu'il importait de reconna�tre sans le mutiler pour rendre compte de cette hypoth�se � la fois fondamentale et triviale : L'Entreprise-Organisation se per�oit comme un syst�me de production d'information (ou de symboles). Et plus sp�cifiquement encore, si l'on prend en compte l'�nonc� de la proposition n� 4 relatif au processus de codage : l'Entreprise ne peut pas ne pas se percevoir comme et par un syst�me de production de symboles.

L?Entreprise-Organisation forme ou construit, intentionnellement, l'information qui la forme.

Application puis g�n�ralisation de la proposition pr�c�dente qui avait permis d'�tablir la d�finition Inforg�tique de l'information et du symbole, cette proposition n� 6, qui va s'av�rer centrale au paradigme Inforg�tique, peut s'entendre sur deux registres conjoints, �celui de l'information g�n�rique et celui de l'information circulante� pour reprendre une distinction importante formul�e par E. Morin �(1977)�:

  • Dans l'infini des repr�sentations possibles, l'organisation forme, de fa�on autonome - t�l�ologique des informations-codes (des syst�mes de symboles) par lesquelles elle s'assimile ses interactions intentionnelles avec ses environnements.

  • Cette formation de codes-symboles s'accompagne de la production de �canaux de communication� (autrement dit, de r�seaux organis�s susceptibles d'�tre organisants) qui assurent la circulation-communication au sein de l'organisation, de l'information g�n�rique puis circulante, information qui devient ainsi elle-m�me organisante.

On peut distinguer, on ne peut s�parer ces deux processus de g�n�ration-communication de l'information qui vont s'av�rer constitutifs de l'organisation. La m�taphore de l'?uf (information) et de la poule (organisation) semble insuffisante pour rendre compte du processus que l'on doit d�crire ici, dans la mesure o� l'on peut trop ais�ment concevoir de fa�on disjointe l'?uf et la poule. E. Morin utilise une m�taphore peut-�tre plus parlante, celle de la formation d'une cellule eucaryote (une cellule avec noyau) � partir d'une cellule photocaryote (une cellule avec cytoplasme mais sans noyau). Le cytoplasme se construit par le jeu des interactions physicochimiques que r�gle la membrane embryonnaire : ainsi commencent � s'accumuler les informations g�n�riques. En circulant (m�taphoriquement) au sein de la �cellule� elle-m�me encore embryonnaire, elles suscitent progressivement, par concentration et densification locale d'interactions mutuelles des informations circulantes, l'apparition du noyau, forme organis�e d�j� organisante, qui va affecter l'organisation de la cellule toute enti�re. Que l'on n'entende ici qu'une m�taphore plausible, susceptible de proposer une intelligence acceptable dans l'Univers ? de ce processus somme toute familier dans l'Univers ? tel que le d�crivent volontiers biologistes ou cybern�ticiens.

L'organisation s'entend d�s lors (dans l'univers ) par une forme (gestalt), elle-m�me reconnaissable par ailleurs dans l'univers ?, sous forme � la fois form�e et formante ; form�e, elle forme des informations g�n�riques ; formante, elle se forme elle-m�me par la circulation des informations qu'elle forme.

Cette hypoth�se constitutive du paradigme Inforg�tique, �L'information in-forme l'organisation qui la forme��2 va devenir l'argument-clef de la repr�sentation - par des informations - de l'activit� inform�e et informante - de l'entreprise-organisation : autrement dit, l'argument-clef de la conception et de la gestion du Syst�me d'Information de l'Organisation.

L'Entreprise-Organisation, autonome, t�l�ologique, active, inform�e et informante met en ouvre des processus d'�laboration d�lib�r�e de ses d�cisions d'op�ration et d'information.

Pour une large part, cette proposition pourrait �tre tenue pour un corollaire des propositions pr�c�dentes, puisqu'un syst�me finalis� et finalisant est n�cessairement capable non seulement de d�cider de ses comportements, mais aussi d'�laborer ses d�cisions (The Decision-Making Processes). Il est pourtant n�cessaire de l'expliciter sp�cifiquement pour mettre en valeur le fait que les processus de d�cisions de l'organisation ne concernent pas seulement la d�termination de ses op�rations, mais aussi de ses informations. Si une organisation ne peut pas ne pas (s') informer, elle doit pourtant d�cider (non sans arbitraire a priori) de cette information : si l'on pr�f�re, condamn�e � se d�placer, elle a le choix permanent de ses itin�raires, mais elle ne peut pas ne pas les d�cider (quitte � d�cider de ne pas d�cider ou de d�cider au hasard).

H.A. Simon a remarquablement mis en valeur la complexit� de ce n�cessaire processus d�cisionnel des organisations humaines. En particulier en soulignant le caract�re informationnel et t�l�ologique de ce processus : l?organisation a non seulement � d�cider de la solution d'un probl�me, mais elle a aussi, et peut-�tre surtout, � d�cider de la formulation des probl�mes � r�soudre. Les probl�mes ne se posent pas tout seuls et les d�cisions visant � r�soudre des probl�mes qui ne se posent pas sont habituellement perverses : elles conduisent � faire poser d'autres probl�mes que l'organisation aurait ignor�s si elle n'avait pas tenu � r�soudre un probl�me dont elle ne s'�tait pas assur�e qu'il ne la concernait peut-�tre pas, ou pas dans les termes retenus. Cette fonction d�cisionnelle doit en cons�quence affecter tr�s profond�ment la repr�sentation que l'organisation se donne d'elle-m�me � elle-m�me : elle ne s'organise peut-�tre pas d'abord pour assurer ses op�rations en optimisant ses comportements �nerg�tiques ? Elle s'organise pour susciter le plus possible d'intelligence adaptative au sein de ses propres d�cisions3.

L?Entreprise-Organisation se repr�sente par la conjonction de trois processus indissociables et distinguables d'Op�ration, d'Information et de D�cision.

Cette proposition synth�tique a �t� si fr�quemment consid�r�e et interpr�t�e depuis sa premi�re formulation en 19744 que l'on ne la reprend ici que pour m�moire... et parce qu'elle facilite grandement en pratique les exercices d'ing�nierie de l'organisation. Sa justification au sein du paradigme Inforg�tique m�rite pourtant d'�tre soulign�e, ainsi que la dialectique sous jacente que ce mod�le permet d'exprimer mais aussi parfois d'�luder : si l'organisation de l'entreprise s'interpr�te en r�f�rence au processus informationnel qu'elle forme et qui la forme, peut-on consid�rer en m�me temps que l'organisation d�cide d'elle-m�me de son comportement et de ses transformations ?

On rencontre ici un conflit conceptuel qui n'a peut-�tre pas encore �t� assez consid�r�, entre les th�ories de l'ordre social spontan� (l'organisation se forme sans projet dans le bruit informationnel qu?elle forme en (s?) informant) et celle de l'auto-organisation t�l�ologique (l'organisation, dans et par ses interactions avec ses contextes �voluant, d�cide des projets qui la forment). C'est pr�cis�ment en concentrant la r�flexion sur les dualit�s du processus informationnel (� la fois g�n�rique et circulant, � la fois produit par les op�rations et produit pour les d�cisions) que l'on d�veloppera cette intelligence de l'organisation bivalente, op�rant dans, sur et pour ses �environnements externes��, et d�cidant dans, sur et pour son organisation propre (son �environnement interne��, dira H.A. Simon(1981)).

L'Entreprise-Organisation est repr�sentable par un Syst�me de Traitement d'Information (STI) autrement dit par un syst�me de computation-communication-m�morisation de symboles.

La d�finition que l'on a propos�e du Paradigme Inforg�tique peut sans difficult� �tre reprise pour �tre pr�sent�e dans les termes de la d�finition du �Paradigme du Syst�me de Traitement de l'Information� formul�e par H.A. Simon (1986), cette derni�re mettant moins directement en �vidence le caract�re r�cursif des concepts d'Organisation et d'Information. On montre facilement que l'on passe ais�ment de l'un � l'autre, le paradigme Inforg�tique pouvant exprimer, par une mise en �criture sous la forme d'un STI les contributions � la Th�orie de l'Auto-Organisation5 de H Von Foerster, H. Quastler, H. Atlan et surtout ici d'E. Morin (qui parle ici plus volontiers de l?Auto-Eco-G�no-Organisation). On montrerait la m�me g�n�ralisation des th�ories �tablies pour et dans le paradigme �nerg�tique, volontiers interpr�t�es pour la mod�lisation des organisations, telle que la th�orie des bifurcations et des structures dissipatives de I. Prigogine ou la th�orie des catastrophes morphog�n�tiques de C.H. Waddington et R. Thom.

Un syst�me de symboles physiques, (ou un STI), mis en ?uvre par un exercice de mod�lisation d'un ph�nom�ne per�u complexe (dans l?univers ?), se d�crit par la conjonction de trois fonctions, fonctions r�cursives en ceci qu'elles portent sur des symboles que l'on a d�fini comme �tant des op�rateurs dans les deux univers ? et ?�:

  • une fonction de computation de symboles, autrement dit une Machine de Turing, assurant s�quentiellement lecture, production et �criture, agr�gation, effa�age, adressage et branchement de symboles selon des s�quences de r�gles quelconques (des heuristiques) descriptibles par des �syst�mes de production��6 (le calcul num�rique est donc un cas tr�s particulier de la computation symbolique).

  • une fonction de communication, ou plus correctement de transmission de symboles, lequel peut-�tre d�crit par un syst�me de computation dans l?univers ? o� la transmission se repr�sente par �un syst�me de Traitement du signal�, codant et d�codant (computation donc) des symboles physiques.

Ces deux fonctions de base de tout STI ont �t� d'autant plus ais�ment d�crites dans l'univers ? qu'elles rencontrent l'une et l'autre des limites de capacit� physique et donc �nerg�tique : la capacit� du Canal de Transmission du signal, Hmax, n'est pas a priori illimit�e m�me si C. Shannon (1949) a montr� que l'on pouvait en partie s'en affranchir en jouant sur le syst�me de codage et sur sa redondance (par computation donc). Et les limites de capacit� de computation d'un �computeur� dans ? et dans ?, qu'il soit naturel ou artificiel, sont famili�rement contraignantes, m�me pour les calculateurs prodiges : H.A. Simon, reprenant et interpr�tant les c�l�bres �tudes de G. Miller (1956) a souvent soulign� l'importance du �butoir des sept shunks� (ou unit� d'information m�morisable et computable) qui limite sans cesse l'activit� computationnelle de l'esprit humain et plus g�n�ralement d'un �Syst�me de Production de Symboles� fini.

La th�orisation, dans l?univers?, des syst�mes de traitement du signal a conduit � mettre en valeur la conjonction de ces deux limites de leur capacit� de computation et de transmission, sous la forme classique des deux principes de l'Energ�tique :

  • Le principe de conservation, qui exprimant la transmission en termes de computation dans une unit� de temps, dira que Cp + Ht < Ks ; autrement dit, pour un STI, "s" donn�, la somme des activit�s possibles de traitement de signaux (Computation, Cp, ET Transmission, Ht) est born�e sup�rieurement par une valeur K(s).

  • Le principe de d�gradation, qui exprime l'affaiblissement irr�versible au fil du temps, de ce �potentiel� de Traitement (computation et transmission) du signal (la d�gradation entropique que symbolise la notion de �bruit� propre au syst�me). Si on en d�signe l'intensit� par la notation ?, 0<?<1, on pourra exprimer cette double interpr�tation sous la forme : �Cp + Ht ? Ks (1 - ?s).

La formulation Inforg�tique de cette limitation d'ordre �nerg�tique va conduire � reconsid�rer la nature des caract�ristiques K (le potentiel maximum de traitement du STI) et ? (le bruit propre au STI) : K et ? n'y sont plus donn�s mais construits, construits par l'organisation du syst�me dans l'univers ? dans lequel on le repr�sente.

La reconnaissance de la fonction m�morisation d'un STI va rendre � la fois possible et praticable cette red�finition et l'exceptionnelle amplification de son potentiel symbolique. L'ing�nierie �nerg�tique de la m�morisation tournait n�cessairement court, r�duite par hypoth�se � des consid�rations sur le caract�re on�reux du magasinage de �jetons� (le symbole physique n'�tant dans l'Univers ? qu'une forme tangible, un jeton).

D�s lors que l'on peut repr�senter, dans sa complexit� potentielle, la fonction de m�morisation symbolique entendue comme un processus de m�ta-computation, on va pouvoir, dans l'Univers ? , exprimer en termes Inforg�tiques, son exceptionnel effet amplificateur de computation et de transmission d'un STI. L'organisation ne peut pas ne pas m�moriser d�s lors qu'elle ne peut pas ne pas computer et communiquer des symboles.

Le champ est d�sormais ouvert � l'ing�nierie de la mod�lisation Inforg�tique des organisations : la prise en compte des processus inforg�tiques de m�morisation transforme - parfois consid�rablement - la repr�sentation que les organisations sociales peuvent se construire de leurs comportements. L'organisation t�l�ologique de la fonction m�morisation devient le m�ta-mod�le, ou plut�t le mod�le-noyau, le pattern, de l'organisation sociale entendue dans sa complexit� inforg�tique. (On pr�tend ici que le paradigme �nerg�tique ne permet pas de rendre compte de ces processus de m�morisation organisationnelle que l'on tient pourtant pour donn�s par l'exp�rience sensible dans l?Univers?. C'est ce constat qui a progressivement conduit � conceptualiser le paradigme inforg�tique).

L'Entreprise-Organisation se comprend par un syst�me d'action intelligente et donc par sa capacit� � se finaliser, � comprendre et � concevoir.

Le concept de "Syst�me d'Action Intelligente" d�gag� en 1975 par H.A. Simon et A. Newell permet de rendre compte, au sein du paradigme Inforg�tique, des processus par lesquels une organisation �comprend� les probl�mes d'�quilibration t�l�ologique qu'elle identifie intentionnellement, puis quelle �con�oit� et met en ?uvre les comportements et les interventions par lesquelles elle se propose de �r�soudre� ces probl�mes.

La possibilit� de �repr�senter� par un syst�me de traitement de symboles, un syst�me d'action intelligente et donc une organisation per�ue comme capable d'action adaptative (ou intelligente), va constituer la th�se centrale de H.A. Simon et A. Newell, celle � partir de laquelle on pourra fonder sur des bases �pist�mologiques r�fl�chies l'Intelligence Artificielle et les Sciences de la Cognition. On peut d�finir une action intelligente comme l'action d'une organisation visant � �laborer et � mettre en ?uvre une solution (ou une �r�ponse�) adaptative intentionnelle (une adaptation ou plus g�n�ralement une �quilibration) � un probl�me auto identifi� t�l�ologiquement par l'organisation.

La repr�sentation de ce processus de formulation-r�solution de probl�me, tenu pour isomorphe d'un processus de d�cision d'action intelligente, par un STI conduit � diff�rencier trois phases embo�t�es de �Compr�hension� , de �Conception� et de �Finalisation� . (Le processus de finalisation s'entendant par sa fonction amplificatrice des fonctions de compr�hension et de conception, comme pr�c�demment la fonction de m�morisation s'interpr�tait en terme de catalyseur des fonctions de computation et de communication symbolique).

On ne peut exposer ici les mod�les cognitifs de compr�hension (Problem finding) et de conception (Design : Problem solving), au demeurant embo�t�s r�cursivement par lesquels on peut repr�senter l'activit� cognitive d�cisionnelle d'une organisation (Le Moigne, 1986c), (Simon, 1981). On doit en outre convenir du caract�re encore tr�s embryonnaire des sch�mas conceptuels dont on dispose pour rendre compte de son activit� proprement finalisatrice. Pendant longtemps, le processus t�l�ologique des organisations fut soit ignor�, soit ni� malgr� son �vidence sensible, et cette �contradiction �pist�mologique profonde� que diagnostiquait J. Monod �(1970) d�t �tre ignor�e parce que le paradigme �nerg�tique ne permettait pas d'en rendre compte.

On peut pr�sumer, ce sera une des conclusions op�rationnelles les plus s�res de cette premi�re tentative de mod�lisation inforg�tique de l'Entreprise-Organisation, que la conceptualisation instrumentale des �syst�mes de finalisation� va s'enrichir d�sormais progressivement : le renouvellement actuel des id�es sur le th�me du Pilotage (ou du Management) Strat�gique de l'Entreprise (Tabatoni et Jamiou, 1976), (Avenier, 1988) nous semble en constituer un t�moignage convaincant.

Ces dix propositions sont sans doute pr�sent�es de fa�on trop ostensiblement d�sincarn�e. Pour une part, le lecteur d�clarera qu'il pratiquait l'ing�nierie inforg�tique de son organisation � la fa�on de Monsieur Jourdain, sans le savoir. Et pour l'autre part, il s'irritera du changement de r�f�rentiel auquel ce Pattern constructif de mod�lisation le contraint, en lui d�conseillant syst�matiquement l'usage si familier de l'Analyse de l'Organisation et l?argument si s�duisant de l?optimisation �nerg�tique (�YAKA faire comme les abeilles construisant leur ruche dans la Nature par des cellules uniforme�). En outre, en substituant au clich� de la maximisation de l'Utilit� Esp�r�e, celui du processus complexe de finalisation, l'ing�nierie inforg�tique ne �simplifie� pas en apparence la t�che du mod�lisateur (et moins encore celle de l'enseignant charg� de transmettre ces mod�les algorithmiques)�; mais elle les incite � exercer leur intelligence et � pr�f�rer l?intelligible au simpliste.

Sans nier ces difficult�s socio culturelle inh�rentes � toute �mergence d'un nouveau paradigme, on peut l�gitimement appeler les praticiens � ne pas r�duire � une froide ing�nierie informatique le traitement des complexit�s que r�v�le chaque jour l?action effective des organisations sociales�: la m�ta-repr�sentation fonctionnelle de l'Entreprise-Organisation que permet l'ing�nierie inforg�tique, conduit � une grille de lecture, outil de diagnostic f�cond pour les acteurs de l'organisation et pour les concepteurs de son syst�me d'information.

Grille que l'on pr�sente sommairement par le tableau ci-apr�s : l'organisation s'entend par la double conjonction d'actions qu'elle agence en un �Complexe� (au sens d?un complexe chimique ou d?un vortex hydrodynamique)

:

  • par les rythmes inforg�tiques de ces actions enchev�trant le synchronique (l'Eco-Organisation), le diachronique (la R�-Organisation) et l'autonomisant (l'Auto-Organisation)

  • par les niveaux inforg�tiques de ces actions, selon qu'elles concernent les op�rations (physiques), les informations (symboliques) et les d�cisions (intelligentes)7.

L'architecture des fonctions qui s'agencent ainsi au sein de l'Organisation peut se d�crire inforg�tiquement � l'aide de cette matrice qui exprime la conjonction constitutive de son complexe d'action.

Figure 2. Forme canonique de l?�co-auto-re-organisation

Figure 3. Le mod�le Inforg�tique de l?organisation, complexe d?actions intelligibles



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Notes de bas de page

1C'est sans doute chez A. Bogdanov (1980) d�s 1913 la premi�re entreprise �labor�e de conceptualisation de l'organisation. On pourrait montrer qu'il en va de m�me de la r�flexion peut-�tre plus riche et plus �labor�e encore de Paul Val�ry (1975). Si les contributions de la Cybern�tique (N. Wiener, 1948) (Beer "Platform for change" 1975) pr�par�rent le terrain, c'est � E. Morin (1980) que l'on doit l'expos� sans doute le plus achev� d'un paradigme de l'Eco-Auto-R�-organisation. On a d�velopp� cette formulation dans plusieurs �tudes qui s'articulent progressivement, notamment (Le Moigne, 1982), �(Le Moigne, 1984), (Le Moigne, 1986b), �(Le Moigne, 1983), (Le Moigne, 1987) �
2On emprunte le n�ologisme "in-former" � F. Varela (1979). Peut-�tre en en proposant une interpr�tation un peu plus extensive.
3Cette formule r�capitule peut-�tre une des th�ses fondamentales de H.A. Simon (1973). Au mod�le Taylorien et � ses avatars (Ecole des relations humaines, etc...) fond� sur l'hypoth�se ���On s'organise pour mieux produire (�nerg�tiquement)��, il substitue un mod�le fond� sur l'hypoth�se "on s'organise pour d�cider en raison gardant (inforg�tiquement)".
4Peut-�tre faut-il rappeler, compte tenu du nombre impressionnant de citations de n-i�me main (donc d�grad�es par bruitage de transmission) dont elle a fait l'objet depuis dix ans, que cette proposition a �t� express�ment pr�sent�e pour la premi�re fois dans sa forme canonique ("Syst�me op�rant, Syst�me d'Information, Syst�me de D�cision") dans (Le Moigne, 1974). Le c?ur de l'argument, la diff�renciation des concepts du syst�me d'information et du syst�me de d�cision d'une organisation, avait �t� explicitement d�velopp� dans (Le Moigne, 1973), soit un an avant que ne paraisse aux USA le manuel de G.B. Davis (1974) sur les M.I.S., lequel ignorait cette distinction.
5La r�f�rence classique en langue fran�aise sur le paradigme de l'Auto-organisation est sans doute donn� par P. Dumonchel et J.P. Dupuy (1983)
6D'autres textes d'"Ensembles de R�gles" (Set of Rules), et montre son �quivalence avec celui de "Machine de Turing". Cf. par exemple, M. Davis (Ed.), "The Undecidable", Raven Press, N.Y. 1965, p. 332. A. Newell et H.A. Simon rapportent les raisons de leur choix du Concept de S.P. de R. Post pour formaliser un S.T.I., dans "Human Problem Solving" (Prenctice Hall, Englewood, New Jersey) 1972, p. 888.
7On a pr�sent� ce tableau de synth�se dans une forme peu diff�rente dans l'article (Le Moigne, 1987) en l'introduisant d'une fa�on plus th�orique.

Pour citer cet article


Jean-Louis Le Moigne. �Sur la repr�sentation des processus d?auto in-formation des organisations sociales. 2�me partie�. e-TI - la revue �lectronique des technologies d'information, Num�ro 5, 20 novembre 2009, https://www.revue-eti.netdocument.php?id=2061.




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