Comment processus et résultats de l'apprentissage sont-ils transmis aux individus et aux organisations qu'ils structurent?
Pour faire directement le lien entre les dynamiques de l'apprentissage individuel et celles de l'apprentissage organisationnel, nous traitons de la problématique de la traduction des dynamiques d'apprentissage dans des objets partagés. Ce traitement est réalisé au travers d'une conceptualisation de la mémoire organisationnelle comme relais des acquis cognitifs qui émergent au fil de la vie du collectif. Cette notion est alors mise en situation en considérant les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Elles sont envisagées comme supports et objets de mémorisation.
How processes and results of learning are transmitted to individuals and to organizations they structure?
In order to directly link individual learning dynamics and organizational learning ones, we treat the problems of learning dynamics' translation in divided objects. This processing is implemented through a conceptualisation of the organizational memory as a relay of the cognitive assets in the daily collective life. Then, this new concept is put in situation considering technologies of information and communication. These are defined as supports and objects of memorization.
La mémoire constitue un objet central dans tous les processus d'apprentissage – qu’ils soient individuels ou collectifs. De fait, les compétences individuelles ne semblent pas pouvoir se départir - à l'échelle du collectif d'action - d’un « bagage cognitif » commun, le plus léger soit-il ! En effet, « pour qu'il y ait apprentissage organisationnel, il faut que de nouvelles capacités collectives émergent du processus au travers duquel se construit, s'approprie et s'évalue le changement conduit » (Cazal et Dietrich, 2003).
Une telle conception dynamique de l’apprentissage est, donc, indissociable d’une vision de la mémoire comme processus. De ce point de vue, l’objet mnésique est en construction permanente relativement à des acquis cognitifs, eux-mêmes essentiellement fonction des représentations consécutives aux expériences. Au niveau de ces représentations intervient, justement, la base cognitive commune – indispensable à la cohésion des structures d’action collective.
Et, notre objectif, dans la première partie de cet exposé, est de tenter un développement conceptuel concernant cet objet si insaisissable que constitue la mémoire des organisations ou, comme nous l’avons pressenti, « le creuset des tenants et aboutissants de l’accumulation des savoirs et des savoir-faire » au sein de ces structures d’action organisée. Dans la seconde partie de cet article, nous nous proposons de « frotter » cette définition de la mémoire organisationnelle à la réalité fonctionnelle des construits d’action collective, qui se dotent de moyens d’expression de cette mémoire à travers les TIC. Il s'agit plus précisément de placer le processus organisationnel de mémorisation au coeur du système de flux d'actions et d'informations caractérisant les organisations. Pour ce faire, nous considérons tout d'abord des technologies de gestion, de traduction et de capitalisation de ces flux; le schéma cognitif est ici essentiellement intégratif. Ensuite, nous envisageons des outils technologiques essentiellement interactifs dans le sens où, selon une approche réticulaire, des TIC peuvent constituer des objets d'apprentissage à part entière – modelés par ceux qui les utilisent et porteurs de sens, rentabilisés par des logiques de coopération élargies.
Mais attachons-nous maintenant à préciser la notion de mémoire organisationnelle, en la confrontant aux dynamiques de l’apprentissage des individus et des groupes d’individus au sein des organisations.
La mémoire constitue traditionnellement, en psychologie cognitive, à la fois un stock d’informations codées et un processus. Cependant, nous tenons à re-préciser que cette mémoire, mise au service de l’apprentissage individuel ou collectif, renvoie intrinsèquement à un cadre processuel, impliquant « des opérations techniques complexes et parfois incertaines, des routines, des comportements et des interactions humaines ouvertes » (Carmes et Noyer, 2005). La mémoire est, alors, le fruit d’une composition des éléments précédents, via des phases de bouclages récursifs. Ces dernières reposent, elles-mêmes, sur des mécanismes cognitifs d’acquisition, de stockage et de restauration spécifiques. De tels mécanismes concernent à la fois le niveau individuel et le niveau organisationnel de mémorisation.
Au niveau des individus, le moment d'un premier apprentissage correspond à une phase d'interprétation de l'information – cette dernière n’étant acquise qu’après une phase de transformation des données en éléments informationnels pertinents. Toujours au niveau individuel, le mécanisme de rétention-stockage porte sur les phases d’encodage informationnel. L’encodage traditionnel (relationnel ou organisation des connaissances) repose sur une catégorisation des connaissances en groupes d’informations : les chunks (Jaffard, 1994). A ce premier niveau, l’individu mémorise des savoirs et des savoir-faire qu’il a la capacité d’exprimer verbalement.
Au niveau de l'organisation, le stockage de l'information ou la constitution physique de la mémoire organisationnelle s'exprime dans le filtrage et l'encadrement de l’information à travers des structures de rétention partagées: des cartes cognitives collectives, des structures de croyances négociées, des structures de référence, des hypothèses partagées ou des théories implicites. Un tel mécanisme est tout autant à l’origine que la résultante de l’apprentissage organisationnel « étroitement lié aux processus organisationnels ‘porteurs de sens’ qui sont fondamentalement des routines interprétatives utilisées par les décideurs pour détecter les problèmes, définir les priorités et développer une compréhension de la manière avec laquelle on fait face aux écarts de performances » (Tremblay, 2003). Dans ce cadre organisationnel, l'oubli peut être volontaire ou involontaire. L'oubli involontaire s’explique, pour une grande part, à travers les échecs de récupération des connaissances dans les sous-systèmes de mémorisation, nés de boucles processuelles. Dans de tels cas, les connaissances sont bien en mémoire mais, nous n’y avons pas accès. Une autre forme d’oubli involontaire peut aussi résider dans l’estompement de la trace mnésique (correspondant à l’encodage d’une connaissance) – à cause du temps, par exemple. Dans ce cas, la connaissance n’est plus mémorisée : elle ne peut plus être collectivement partagée via un mécanisme de codification visant à la coordination des représentations individuelles.
Enfin, dans une perspective tant individuelle que collective, on entend par mécanisme de restauration le fait de retrouver le plus rapidement possible et le plus précisément possible une information parmi un très grand nombre. Là encore sont mis à contribution des schémas interprétatifs antérieurement activés et appris – qu’ils soient endogènes ou exogènes pour l’acteur organisationnel.
A partir de ces mécanismes cognitifs inhérents à l’objet mémoire, l’information codifiable peut alors librement circuler dans la structure organisationnelle. Cette connaissance guide les pratiques productives dans le cadre cognitif et institutionnel qui caractérise déjà la vie collective.
Sur la base d’un tel cadre conceptuel, examinons, à présent, plus précisément, le caractère opératoire et la richesse des leviers de la mémoire organisationnelle à travers les dynamiques d’apprentissage associées à l’introduction des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les organisations.
Dans un laboratoire d’apprentissage1 en particulier, des quantités phénoménales d’habiletés et de connaissances sont stockées au niveau des individus, des processus productifs et des équipements. Malgré tout, il est aussi utile de mobiliser le champ non-technique - c’est-à-dire les valeurs sous-jacentes et les pratiques managériales - afin de renouveler et de supporter les fondements du savoir: « les dimensions cognitives et sociales jouent un rôle déterminant dans le succès d'une démarche d'apprentissage » (Pedon et Schmidt, 2002). Nous allons mieux appréhender cela en envisageant les TIC comme des supports et objets de mémorisation. En effet, d’une part – et ce sera l’objet de notre premier sous-paragraphe – les TIC constituent des supports plus ou moins partagés d’expression, d’explicitation, d’objectivation des connaissances, dont on peut garder une trace fonction de « la capacité mémoire » de nos équipements informatiques ! D’autre part, nous traiterons, dans un second point, du fait que de tels supports cognitifs de représentations font intervenir, en tant qu’outils de communication, la subjectivité ainsi que « des phénomènes complexes de co-construction et de co-émergence du sens » (Carmes et Noyer, 2005). Les TIC ne renvoient plus, à ce moment-là, à du contenu mémorisé, mais désignent le contenant même ou l’objet mémoire.
Tout d’abord, l’introduction des TIC nécessite l’établissement de procédures organisationnelles de travail. Il faut notamment fixer des règles communicationnelles. Elles interviennent tant sur le plan individuel – au niveau du poste de travail – que sur le plan collectif – au niveau de l’organisation. Il convient également de mettre en place de nouveaux modes de collaboration. Dans la perspective d’une articulation des compétences disponibles et à générer, des procédures d’élaboration des coordinations (Lorino, 1999) devraient, plus généralement, être stabilisées dans une dialectique entre acteurs organisationnels et éléments structurels. En ces termes, les TIC sont des catalyseurs d’interactions dans le sens où, en tant que technologies d’organisation, elles nécessitent la construction de dispositifs de coopération spécifiques visant à maximiser les échanges cognitifs qui font la mémoire des organisations. Simultanément, l’outil technologique doit être suffisamment flexible pour pouvoir s’adapter aux besoins, à la nature et au fonctionnement de telle ou telle activité organisationnelle. Dans cette optique, l’observation préalable des tâches à réaliser, des procédures et pratiques organisationnelles, des différents circuits communicationnels semble être nécessaire.
Dès lors, un système technologique d’information et de communication aurait un rôle de soutien mémoriel pour des individus véritablement « intégrés » dans son développement et dont les stratégies trouvent également un écho dans ce dispositif TIC.
Dans ce cadre, supposons que l’option d’adoption massive des technologies Internet soit privilégiée : les deux motifs d’adoption principaux correspondent, d’une part, pour l’E-mail, à la recherche d’économie de coûts d’échanges d’information, à la recherche de productivité dans ces échanges. Cela sous-entend aussi une meilleure interactivité. D’autre part, les collectifs d’action souhaitent être mieux renseignés sur leur environnement, ils sont de plus en plus à « veiller » dans un contexte de plus en plus incertain (Amabile et Gadille, 2000). L’échange de données informatisées (EDI) vient, alors, encore soutenir l’objectif d’une baisse des coûts et des délais (de coordination), tandis que la mise en œuvre d’un site Web va dans le sens d’une plus grande attention portée à l’environnement d’action, au travers d’une présence effective sur un réseau mondial de communication. Dans ce cas, il convient de pointer le fait que l’appropriation de ces innovations par les acteurs économiques finit par donner naissance à de nouvelles industries, voire à de nouveaux marchés.
Mais, outre de nouvelles règles de communication à instaurer suite à l’introduction de toute TIC, des dispositifs de maintenance sont également à mettre en œuvre. En ce qui concerne le secteur des services aux entreprises, il n’est pas difficile à comprendre que la part du secteur concernée par la fourniture de services informatiques – telles des activités de conception de logiciels, des activités d’assistance de proximité liées à l’implantation et à l’usage des TIC en relation avec Internet… – n’est pas négligée dans la stratégie interne au secteur ou inter-secteurs (Gadille et D’Iribarne, 2000).
Cependant, comme toute réorganisation peut être suivie, en matière de TIC, par des redéfinitions de tâches et de pouvoirs, des stratégies internes d’adoption ou de refus quant à ces technologies peuvent également induire des apprentissages collectifs sous-optimaux. C’est pourquoi, pour les uns, ces TIC favorisent l’apprentissage organisationnel ; pour les autres, des coûts cachés et des phénomènes de résistance.
Néanmoins, selon R. Reix, « (…) l’impact le plus sensible se situe, sans aucun doute, au niveau de la distribution des connaissances. Au quotidien, l’amélioration des moyens de communication dans l’organisation facilite l’accès partagé aux données de base, donc la diffusion des connaissances factuelles élémentaires. De manière plus ambitieuse et plus ciblée, les systèmes d’aide à la décision, les systèmes experts… en incorporant une connaissance explicite dans des logiciels multiplient les savoir-faire spécifiques et élargissent ainsi le champ des compétences individuelles » (Reix, 1999). Sur la base de modalités d’appropriation différenciées, les TIC peuvent, en effet, participer à l’amélioration des comportements productifs routiniers, ces derniers autorisant une stabilité nécessaire de l’organisation à des fins d’exploitation des compétences, des règles et des ressources existantes. Elles peuvent, par ailleurs, intervenir dans des comportements exploratoires de diversification qui contribuent à la viabilité organisationnelle de long terme. Elles peuvent, ainsi, favoriser les échanges, la recherche d’informations ou encore les processus de veille.
Partant, les technologies peuvent, plus globalement, nous aider à faire évoluer nos habitudes de représentation en même temps que nos modalités d’apprentissage. Ainsi, par exemple, en novembre 2002, à Bolzano, une expérience multimédia a permis de montrer que, dans les écoles italiennes, « la narration pouvait (…), au travers du récit et des données documentaires, accompagner les images numériques véhiculées par les réseaux et en faire un véritable support de mémorisation de l’histoire locale et de recréation d’un vocabulaire identitaire commun » (Garcia Vitoria, 2003).
Par conséquent, nous constatons encore que chaque typologie d’utilisateurs opère une traduction contextualisée des informations, d’où ces dernières tirent leur valeur ajoutée ne constituant plus de simples faits.
Et, comme nous pouvons l’observer dans le tableau A suivant, pour chaque type de décision (ou pour « une casquette » de décideur donnée !), nous pouvons également trouver un système d’information et de communication (SIC) décisionnel et sa traduction technologique.
Tableau A : Synthèse d’un couplage processus d’apprentissage - TIC
Comme nous pouvons le constater, tel ou tel dispositif TIC est aussi associé à telle ou telle modalité d’apprentissage. C’est l’exploitation des savoirs et savoir-faire antérieurs d’une part dans le cadre organisationnel stricto sensu, pour ce qui est du système de prise de décision, et d’autre part à l’extérieur de l’organisation, dans le cas du système de reporting. Quant au SIAD, la dynamique d’apprentissage en jeu réside dans l’exploitation de l’expérience mise au service de l’exploration de nouvelles expériences. En ce qui concerne le système reposant sur l’intelligence artificielle, l’apprentissage interactionnel (Daraut, 2004) intervient dans le sens où l’interaction Homme-TIC est à l’origine de la mémorisation de nouvelles associations entre les données, et ce tout en générant de nouvelles représentations des finalités de l’organisation. En ce sens, il est aussi vrai que les TIC peuvent transformer la nature et le degré des interdépendances intra-organisationnelles : au sein d’une même unité fonctionnelle, entre unités ou quant à la gestion de groupes de travail. Enfin, si nous considérons le dernier type de SIC recensé dans le tableau A, l’apprentissage interactionnel y intègre, d’ailleurs, le fait de se polariser sur les formes d’échanges et de coopérations intra-organisationnelles, les représentations communes, afin d’y adapter numériquement des modes collaboratifs de communication.
Toutefois, les dynamiques en jeu ici sont plus ou moins formalisées. Il s’agit, en effet, de se positionner analytiquement entre les systèmes d’interactions humaines, les systèmes d’interactions numériques et les systèmes d’interactions Homme-dispositifs TIC. Une telle approche multi-niveau sous-entend de prendre en compte divers pôles d’influence :
« les effets du contexte sur le comportement des individus et des groupes »
« la construction du contexte par les processus psychologiques des individus et les dynamiques sociales »
« les parallèles et les discontinuités dans les processus comportementaux des individus, des groupes et des organisations » (Lecocq, 2000).
Un tel point de vue polycentré est, sans doute, une des conditions pour éviter l’effet d’ossification qui renvoie à une formalisation accrue des processus organisationnels auxquels les TIC s’appliquent, induisant corrélativement une stabilisation ainsi qu’une rigidification des comportements individuels. C’est aussi un palliatif face au risque de perception sélective, conséquence de la formalisation d’un cadre d’observation restreint.
Mais, plus généralement, cela renvoie à la problématique même du statut des TIC : ces technologies doivent-elles constituer des outils - supports contextualisés d’apprentissage - ou des objets virtuels de délibération, de réflexion-recontextualisation permanente - à travers lesquels les règles de l'apprentissage elles-mêmes peuvent être modifiées, selon le principe du deutero learning (Argyris et Schön, 2001) ?
Pour ce qui est de l’outil, l’individu en dispose pour réaliser un objectif fixé par lui – et non par cet outil ! La prise en compte du contexte d’utilisation de l’outil est, dès lors, nécessaire : un technicien allemand peut, par exemple, trouver tout à fait inutile de posséder une notice d’utilisation écrite en français. Partant, l’outil est caractérisé par son défaut d’universalité.
A contrario, selon F. Silva (Silva, 2003), « l’objet est le fruit de l’expérience, qui existe indépendamment de l’esprit (…). Il est à la fois séparé du sujet et inséparable de ce même sujet. C’est quelque chose de soi-même dans un supplément d’être. Ce n’est pas du même mais du plus. Il n’est donc pas qu’un effet miroir puisqu’il est le fondement de la relation ». Ce dernier auteur donne, par la suite, l’exemple d’une lettre : il s’agit d’un vecteur de communication en tant qu’objet d’extériorisation des pensées de celui qui écrit et médiateur de partage. Ainsi, lorsque la relation se modifie, l’objet change aussi : l’objet rend compte des valeurs et du sens de la relation, obéissant également à une logique processuelle. Cette approche nous semble, alors, trouver un écho favorable dans la conception de l’artefact technologique proposée par W.J. Orlikowski2 (Orlikowski, 1992) (Orlikowski, 2000). Cet artefact est considéré comme un objet social : il est le produit et le médium de l’action humaine. Selon un processus de structuration dynamique, historiquement et contextuellement encastré, cette technologie est continuellement physiquement et socialement construite, à partir des représentations qu’elle suscite chez ses concepteurs et des propriétés matérielles et institutionnelles que ces derniers mobilisent.
En tant qu’interface objectif et structuré de pratiques sociales, l’outil technologique est, ici, universalisé dans une logique de processus médiatisé par la relation à l’artefact et à ses créateurs.
Ainsi, alors que l’informatique s’est répandue dans les entreprises depuis maintenant plusieurs décennies, les utilisateurs ont acquis des compétences par leur formation initiale, professionnelle ou à travers « des activités de bricolage ». Ces compétences permettent plus aisément de mettre en œuvre des pratiques autonomes. Ces modes individuels d’organisation peuvent, toutefois, se heurter au processus global de fonctionnement des structures d’action collective, surtout si la mise en place de pratiques technico-organisationnelles innovantes n’est pas associée à la création de structures et de règles organisationnelles spécifiques. Simultanément, la plasticité des TIC peut intervenir dans le possible développement de telles pratiques autonomes. On peut, effectivement, de plus en plus facilement, modifier l’organisation des données au sein de son micro-ordinateur, en créant des dossiers-répertoires, en utilisant des logiciels standards intégrant des bases de données, des macros, etc. Et, cela ne nécessite pas de compétences particulières en programmation.
C’est pourquoi, selon G. Roth (Roth, 2005), les « investissements dans la technologie de l’information sont comparables à d’autres choix critiques : ils sont bien plus efficaces quand ils sont conçus et mis en œuvre avec l’idée d’exploiter le potentiel de l’entreprise en termes de ressources humaines ». Plus précisément, c’est dans l’interaction constante entre concepteurs et utilisateurs que les TIC peuvent véritablement s’inscrire dans l’organisation comme supports et résultantes d’un apprentissage interactionnel. En effet, toujours selon G. Roth (Roth, 2005), la « connaissance est la capacité d’une entreprise et de son personnel à agir efficacement. Elle porte sur la façon dont les personnes agissent et elle est liée à leurs capacités. L’apprentissage est le processus qui permet à une entreprise et son personnel de développer ces capacités. L’information, elle, est simplement l’ensemble des données nécessaires pour orienter les actions comme il faut. Certes, la technologie de l’information est importante car elle fournit l’information qu’il faut, là où il faut et au moment où il faut. Néanmoins, les demandes pour des systèmes d’information à l’appui de la connaissance dans l’entreprise ne sont valables que si tous ces facteurs sont réunis et que l’on a la preuve que l’information adéquate est disponible en temps voulu pour être utilisée de façon à produire les résultats attendus ». TIC et flux cognitifs – Homme-Homme, Homme(s)-Machine(s), etc. – font donc système au sein et au service des construits d’action organisée.
Au-delà du cerveau humain, les organisations se dotent, donc, d’une mémoire qui constitue le « cycle d’accumulation » d’une connaissance partagée et mise au service de la cohésion et de l’action sociale.
Dans ce cadre, les dispositifs TIC sont à la fois les dépositaires de cette mémoire – en tant qu’outils organisationnels de réception, conservation, restitution, diffusion cognitive – et sa substance même, lorsque l’interaction Homme-Artefact technologique conduit à un changement matériel de cet outil technologique, qui devient alors « objet apprenant ».
Et, « dorénavant (…) les facteurs productifs deviennent l’information et la connaissance » (Chantelot, 2004) ; à travers aussi une démarche identitaire, puisque l’innovation technico-organisationnelle peut aujourd’hui impliquer l’ensemble des acteurs organisationnels en tant que « produit joint du capital humain et de la diversité » (Chantelot, 2004). Dans cette perspective, puisque tous les participants à cette action collective sont impliqués dans l'interaction, le dialogue, les transferts cognitifs et l'expérimentation, le processus s'imprègne d'une forte dimension locale.
Simultanément, le Système d'Information et de Communication (SIC) mis en place va résulter d'une construction technico-organisationnelle faisant intervenir une relation dialectique entre l'exploitation et l'exploration cognitives, l'autonomisation des acteurs organisationnels et la régulation coordonnatrice, les supports et les objets de mémorisation qui gagneraient aussi à se constituer autour de mêmes TIC dans un processus spécifique d'interactions localisé.
Dès lors, si un SIC modulaire se dessine – c'est-à-dire un outil de mémorisation adaptable à plusieurs pratiques et, donc, d'autant plus accessible indépendamment des agents créateurs – il sera aussi nécessaire de réfléchir à de nouvelles territorialités d'expertise, notamment en termes de figures coopératives.
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